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Les travailleurs/euses de la volaille en Thaïlande montrent la voie

Inséré sur le site web de l'UITA le 19-Oct-2007

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Cet article des journalistes Gunnar Brulin et Malin Klingzell-Brulin a initialement été publié dans le journal du syndicat des travailleurs/euses suédois de l’alimentation, Mål & Medel, No 10/2007.

« Ils ont placé une photo de moi devant les portes de l’usine, pour que tout le monde la voit. J’étais une criminelle que personne ne devait laisser entrer », raconte la dirigeante syndicale Kulnipa Panton.

C’était illégal. Kulnipa le savait et a porté plainte à la police. Sa photo a ensuite été déplacée dans la loge des gardiens, à l’intérieur de l'usine. Mais les instructions données aux gardiens n’ont pas changé – ne la laissez pas entrer.

Elle n’est certainement pas une criminelle mais une dirigeante syndicale devenue célèbre pour son combat à l’usine de volaille Centaco en banlieue de Bangkok. Kulnipa Panton a été l’une des fondatrices de la Fédération des travailleurs/euses de l’alimentation de la Thaïlande en avril 2004, un an avant le conflit majeur à Centaco. Elle en an été la première secrétaire générale.

Elle a également été l’une des fondatrices du syndicat à l’usine de Centaco. En novembre dernier, elle a été congédiée. Plusieurs poursuites sont en attente devant les tribunaux civils et pénaux. Les poursuites vont dans les deux directions : elle poursuit l’entreprise, et l’entreprise la poursuit. Cette situation n’est pas inhabituelle en Thaïlande. Les droits syndicaux sont souvent bafoués par les employeurs et la lutte pour de meilleures conditions de travail doit se faire dans le milieu de travail et devant les tribunaux.

Il y a deux ans, en mai, son syndicat a demandé l’ouverture de négociations sur la possibilité d’une compensation pour le temps de déplacement vers le lieu de travail et une augmentation de salaire égale à l’augmentation du taux de salaire minimum. Toutes les tentatives de négociation ont échoué. En juin, 400 travailleurs/euses membres du syndicat ont été mis/es en lockout. Durant deux mois et demi, ils/elles ont manifesté devant les portes de l’usine. Leur lutte a suscité un grand intérêt en Thaïlande et même à l’étranger et a reçu un soutien loyal de l’organisation régionale du syndicat mondial des travailleurs/euses de l’alimentation (UITA) au Japon et d’organisations syndicales à Hong Kong et à Taiwan.

Le rapport sur les violations des droits syndicaux en 2006 de la CSI fait mention de la violence, du harcèlement et des licenciements dont ont été victimes les travailleurs/euses de la volaille. La direction de l’usine a permis à un provocateur d’entrer dans l’usine et de leur jeter des pierres. Une femme a été blessée et a dû être conduite à l’hôpital. Les travailleurs/euses en lockout ont été aspergés de composés chlorés et des produits chimiques attaquant les yeux et la peau, sous le fallacieux prétexte d’un accident durant l’arrosage des plantes. Plusieurs plaintes de police ont été portées contre des dirigeants/tes syndicaux/cales, notamment une « invasion » violente des locaux de l’usine, la diffusion de faux renseignements et des calomnies.

Tout au long de cet interminable conflit, le syndicat est resté indemne. C’est une grande victoire en Thaïlande, où à peine un pour cent des travailleurs/euses sont syndiqués/es.

Le harcèlement s’est poursuivi après le retour des employés au travail en août 2005. En toute illégalité, la nouvelle direction a mis en place de nouveaux horaires de travail et de nouvelles déductions salariales pour les membres du syndicat qui n’acceptaient pas le nouvel horaire. En novembre dernier, 102 travailleurs/euses ont été licenciés/es – pour la plupart des membres actifs du syndicat. Le syndicat a contesté les licenciements et le dossier a été soumis au tribunal du travail. Et c'est ainsi que la situation se perpetue – encore encore plus de harcèlements, de nouvelles accusations et de nouvelles poursuites.

« Je vais à l’usine presque tous les matins et j’attends à l’extérieur des portes pour parler aux membres. Demain, j’y serai pour parler de ma rencontre avec vous », dit Kulnipa, qui a travaillé sur la chaîne de production durant 20 ans, découpant du poulet. Aujourd’hui, elle participe également à des séminaires sur ce qui s’est passé durant le conflit à Centaco et agit comme conseillère syndicale dans les cas de licenciements, mais sans être rémunérée.

La contestation du changement des horaires de travail s’est terminée par une victoire du syndicat, qui a cependant été reconnu coupable d’avoir soi-disant bloqué l’accès à l’usine après le licenciement de 102 travailleurs/euses.

Le nouveau président du syndicat, Pranom Son Liew, a été élu la semaine dernière. Kulnipa n’a plus de fonction syndicale aujourd'hui; les lois thaïlandaises stipulent que les personnes sans emploi ne peuvent pas occuper un poste au sein d’une organisation syndicale. Il n’y a pas vraiment de protections juridiques pour les représentants/tes syndicaux/cales. Les dommages accordés par les tribunaux sont trop faibles pour avoir un effet dissuasif.

Normalement, les travailleurs/euses licenciés/es pour de faux motifs demandent un règlement financier à la société. Il n’y a pas beaucoup de choix quand les règlements sont minimes et que vous avez une famille à faire vivre. C’est le cas de Kulnipa, mais elle ne veut pas de règlement, elle veut se battre. Elle veut retrouver son poste. Son dossier est loin d’être clos. Mais ses chances de gagner sont minimes. Entre temps, elle occupe des emplois temporaires pour survivre. Parfois, elle recueille des données pour une importante institution financière de Bangkok. Pendant son temps libres, elle découpe des légumes qu’elle vend au marché. « Heureusement, les nouveaux employés ont la chance d’entendre parler du travail du syndicat à Centaco, », dit Kulnipa.

Nous avons demandé à Pranom Son Liew, qui écoute tranquillement notre conversation, si elle craint de perdre son emploi, maintenant qu’elle est représentante syndicale. « Non, je n’ai pas peur", dit-elle, "J’ai fait face à beaucoup de pression déjà. La peur nous a quittés. Nous n’avons même plus peur que l'usine ferme.»

Pranom a travaillé durant 11 ans à l’usine de volaille, elle a deux enfants adultes et sera bientôt grand-mère. Elle travaille à la fin de la chaîne et surveille les commandes. Elle souffre de douleurs constantes dans trois doigts, une blessure musculaire pour laquelle elle croit qu’elle devra subir une intervention chirurgicale.

Le nombre de membres du syndicat a diminué depuis que les attaques antisyndicales ont débuté, mais aussi parce que l'usine a davantage recours à la sous-traitance et à de la main-d’œuvre contractuelle. Le syndicat compte aujourd’hui quelques 200 membres; il y en avait auparavant 500 sur les 800 employés/es. Lorsque la société a réduit le salaire des syndiqués/es, plusieurs ont choisi de quitter l’usine plutôt que le syndicat.

L'important dans toute cette affaire c'est qu’ils/elles ont réussi à surmonter toutes les difficultés. Les employés/es ont toujours leur syndicat et n’ont pas laissé l’employeur les diviser. Ils/elles se sont défendus/es devant les Tribunaux, ont demandé l’aide au ministère du Travail. Les syndiqués/es ont même porté plainte contre l’employeur devant la Commission nationale des droits de l'homme.

"En Thaïlande, il est difficile de s’organiser et de former un syndicat" explique Kulnipa. "Le plus difficile pour un syndicat c'est de survivre, parce que les employeurs utilisent tous les moyens à leur disposition pour harceler et humilier le syndicat. »

La Thaïlande, aujourd’hui appelée la « cuisine du monde », est devenue l’un des grands pays exportateurs de la planète. Beaucoup d'entrepreneurs et d'exportateurs sont devenus riches, notamment au sein de la classe moyenne, mais pas les travailleurs/euses de la volaille : Kulnipa, Pranom et leurs collègues.

Ils doivent survivre avec un salaire mensuel de 5 200 bath (environ USD 165); alors que leurs employeurs exportent leurs produits à travers le monde, ils/elles doivent se contenter de poulet de qualité inférieure. Elles nous expliquent que des poulets congelés depuis deux ans sont parfois décongelés et mélangés à des poulets frais et vendus sur le marché intérieur. Les petites boules de poulet que nous voyons à Bangkok sont souvent faites de cette viande de qualité inférieure.

La lutte des travailleurs/euses de Centaco en faveur de leur syndicat est importante. Lorsque des représentants/tes du mouvement syndical thaïlandais ont envoyé une lettre ouverte au président des États-Unis, George Bush, afin d’exiger que l’accord de libre échange entre les nations soit fondé sur les conventions de l’OIT sur les droits syndicaux, leur lutte a constitué un point de référence crucial.

Centaco est à l’heure actuelle la seule usine syndiquée dans l’immense secteur de la volaille en Thaïlande, qui comprend de grandes sociétés exportatrices comme CP Group, Betagro, Narai Interfood, Saha Farm et Grampian Foods. Centaco produit des repas préparés qui sont exportés à travers le monde, y compris en Suède, et principalement dans les entreprises de la restauration et de catering. Les grands producteurs suédois de mets préparés comme Findus et Dafgårds importent leurs produits, souvent via des grossistes ayant des filiales en Suède, comme la société britannique Lamex.

Las société de services alimentaires mondiale Sodexho a entrepris de formuler des normes minimales pour l’achat de produits de volaille en provenance de Thaïlande. Selon le responsable des approvisionnements en Suède Nicklas Hedin, les entreprises thaïes offrent souvent des produits qui ne sont disponibles nulle part ailleurs sur le marché. La réglementation internationale de Sodexho sera formulée cet automne au siège social de la société à Paris. Les exigences touchant le bien-être des animaux, la qualité des produits et le traitement des travailleurs/euses dans les usines et dans les fermes seront rigoureuses, nous assure M. Hedin. Des contacts ont déjà été établis avec les deux principaux fournisseurs en Thaïlande, CP Group et Saha Farm.