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Coronavirus : les leçons d’une pandémie

16.03.20 Editorial
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Que pouvons-nous apprendre de la rapide propagation mondiale du coronavirus (COVID-19), qui est désormais présent dans plus de 100 pays et s’accompagne déjà de conséquences dévastatrices pour les membres de l’UITA et les travailleurs-euses partout dans le monde ?

Nous payons le prix de décennies d’austérité forcée. Peu, voire aucun État n’est équipé pour gérer une épidémie de cette intensité, car, partout dans le monde, les systèmes de santé ont été mis à mal par des décennies de réduction des coûts et de privatisation. Dans la plupart des pays pauvres, et même dans un pays riche comme les États-Unis, le virus se propage rapidement et les soins de santé publique sont limités, voire inexistants. Partout, les soignant-e-s sont surchargé-e-s de travail, sous-payé-e-s et doivent composer avec le manque d’infrastructures et de fournitures médicales de base. Il est urgent d’investir durablement dans les soins de santé de base pour contenir la propagation du COVID-19 et se préparer aux futures pandémies dont nous ont avertis de longue date les expert-e-s. Cet investissement doit être permanent.

Des millions de travailleurs-euses dans les pays pauvres souffrent gravement du manque d’eau potable : les mesures d’endiguement des virus, comme le lavage des mains et l’hygiène de base, sont impossibles à appliquer en l’absence d'approvisionnement en eau potable d'urgence et à l’échelle du système. Elles sont également difficiles à mettre en œuvre dans les secteurs où le rythme de travail est devenu si infernal que les travailleurs-euses n’ont même plus le temps de faire des pauses pour aller aux toilettes. Les employeurs doivent être contraints d’accepter une augmentation des « temps d’arrêt » pour que soient appliquées des mesures d’assainissement adéquates, et ils ne céderont pas sans se battre. Les pouvoirs publics vont devoir intervenir.

La précarisation massive du travail ainsi que l’insécurité économique, qui sont allées croissantes au cours des dernières décennies, signifient que de nombreux travailleurs-euses potentiellement exposé-e-s continueront à se rendre au travail plutôt que de se mettre volontairement en quarantaine. Pourtant, les travailleurs-euses, victimes potentielles et vecteurs de propagation de l’épidémie, restent exclus de la planification de la réponse d’urgence.

Une déclaration conjointe de l’Organisation mondiale de la santé et de l’Organisation mondiale du tourisme des Nations Unies sur la crise du tourisme appelle à une réponse « impliquant tous les maillons de la chaîne de valeur du tourisme : organismes publics, entreprises privées et touristes ». Un communiqué du 11 mars salue « la solidarité du secteur du tourisme et des touristes ». Dans ce scénario, les travailleurs-euses du tourisme — un secteur qui représente plus de 10 % des emplois dans le monde — ne sont même pas pris-e-s en compte. Absent-e-s de « la chaîne de valeur », ils et elles peuvent être contraint-e-s de travailler dans des hôtels convertis en centres de quarantaine improvisés (uniquement en anglais) un pis-aller par rapport aux mesures de santé publique nécessaires qui peut s’avérer mortel. Alors que l’objectif est le confinement, on a là la garantie de la contagion.

La précarité économique et sociale favorise la propagation du coronavirus, mais cette question n’est abordée ni par les États, ni par l’OMS. S’il est primordial de limiter la propagation du virus, aucun-e travailleur-euse ne devrait être contraint-e de choisir entre son salaire et le risque d’être exposé-e personnellement et de contaminer les autres. Pourtant, au Sénat américain, les républicains ont bloqué un projet de loi proposant d’accorder des congés maladie aux travailleurs-euses atteints du COVID-19 ou qui, suivant les recommandations du Centre fédéral de contrôle des maladies (CDC), se sont mis en quarantaine pendant 14 jours. Des fonds destinés à compenser la perte de revenus — un congé maladie universel — doivent être immédiatement débloqués, tant au niveau national qu’international. Pour que ces programmes soient efficaces, les syndicats doivent être impliqués à tous les niveaux de leur élaboration et de leur mise en œuvre. Et l’OMS, l’organisation mondiale chargée de la protection de la santé publique, doit défendre la protection des emplois et des revenus en tant que mesures essentielles de santé publique.

La majorité des travailleurs-euses des secteurs de l’UITA sont employé-e-s dans des petites et moyennes entreprises, qui sont les moins bien équipées pour résister à un choc économique majeur. Pour ces entreprises et leurs employé-e-s, la proposition de stimuler la demande en réduisant le coût de l’emprunt est complètement hors de propos. Les taux d’intérêt n’ont jamais été aussi bas. Depuis la crise financière de 2008, l’argent bon marché n’a financé que l’augmentation des actifs des riches, détournant les investissements de l’économie réelle et des actions importantes de lutte contre la crise climatique alors les services publics et les systèmes de sécurité sociale sont à l’os. La finance précaire, comme le travail précaire, crée un environnement qui favorise la propagation des virus.  

Les gouvernements et les organismes supranationaux doivent agir pour garantir la mise à disposition de fonds d’urgence en vue de soutenir les revenus et l’emploi et d’en maintenir le flux pendant que les mesures visant à contenir la propagation du virus sont en place, et s’engager à maintenir des investissements continus dans le service public. Les syndicats vont devoir s’organiser et lutter à cette fin.