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Ne levez pas les sanctions imposées à la Birmanie !

30.04.12 Editorial
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Les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne ont voté une suspension, censée durer un an, des sanctions contre la Birmanie, le 23 avril. Alors que les ministres des Affaires étrangères étaient réunis, les représentants parlementaires de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti d'Aung San Suu Kyi, ont refusé de prendre possession des sièges au parlement, récemment conquis. Les députés de la LND ont logiquement refusé de prêter un serment qui les engage à "sauvegarder" une constitution qui institutionnalise la loi martiale.

L'UITA et le mouvement syndical international ont salué les élections parlementaires (partiales) et la libération (partiale) des prisonniers politiques, mais l'armée exerce toujours un pouvoir dictatorial. Un bon millier de prisonniers politiques sont toujours derrière les barreaux, les militaires, grâce à un système de sièges réservés et à ses hommes de paille, conserve environ 80% des sièges au parlement, même après les récentes élections. La censure et les sévères restrictions aux libertés de réunion et d'association sont toujours en place. La Fédération des syndicats de Birmanie (FTUB), l'un des piliers du mouvement démocratique, est toujours qualifié d’organisation «terroriste». Et les autorités militaires et civiles recourent largement au travail forcé.

Le 30 mars passé à peine, le commissaire au commerce de l’UE De Gucht avait déclaré que l'Union européenne, « ne se laisserait pas entraîner par les grands conglomérats à un nouvel assouplissement précipité des sanctions », qui incluent une interdiction des investissements dans les secteurs clés. « Il ne faut pas surestimer la pression que peuvent exercer les entreprises du privé ni, surtout, l'influence qu’elles ont sur la prise de décisions des politiques », a déclaré De Gucht à Reuters, lors d'une visite au Cambodge.

Dans les faits, l’UE s’est pourtant empressée de céder, sans états d’âme, à la pression de ces conglomérats, dont De Gucht prétendait d’un cœur léger qu’ils n’avaient aucun poids dans la prise de décisions. De Gucht a également déclaré qu'une décision sur la réadmission de la Birmanie au Système généralisé de préférences (SGP) de l'UE dépendrait des progrès réalisés dans l'élimination du travail forcé, et que l’Union suivrait l’OIT en la matière.

« Un rapport du BIT sur le travail forcé à Myanmar est sur le point de paraître. Le travail forcé étant la principale [raison] de la suspension du SPG à Myanmar, la position de la Commission européenne en la matière pourrait évoluer en fonction de ce rapport », a-t-il dit, avant d’ajouter: « je sais que des progrès ont été enregistrés sur le front du travail forcé ».

Le rapport au Conseil d’administration du BIT sur le travail forcé en Birmanie ne fait état d’aucune réduction significative du recours au travail forcé. Le rapport demande des consultations constructives entre l’OIT et la junte au pouvoir pour aborder « aussi bien les politiques que la pratique qui expliquent le recours au travail forcé par l’armée, ainsi que le recrutement d'enfants dans les forces armées, la conscription forcée pour l’armée, les pompiers et les unités de milices de réservistes, le portage, la construction, l’entretien et le service dans les camps militaires, et le travail agricole forcé ». Le rapport fait état d’un certain nombre d’« activités de formation / sensibilisation » (« peu fructueuses pour l’instant ») avec des investisseurs majeurs du secteur privé, mais ne rapporte aucune réduction du travail forcé dans le secteur privé.

Les ministres de l'UE ont bien des choses à expliquer.

La pratique du travail forcé à grande échelle n’était pas une raisons parmi d’autres de refuser le bénéfice du SGP à la Birmanie, c’était le fondement même de la position commune de l’UE en 1996, qui justifiait l’imposition de sanctions au régime, en citant « en particulier, la torture, les exécutions sommaires et arbitraires, le travail forcé, la violence à l’égard les femmes, les arrestations pour motifs politiques, les déplacements forcés de population et les restrictions aux libertés et aux droits fondamentaux d'expression, de circulation et de réunion. » La position commune a jeté les bases pour les mesures qui ont suivi, y compris l'interdiction d’investir dans le pays. Jusqu’à présent, le travail forcé n'avait jamais été considéré comme pertinent uniquement aux fins du SPG.

Les progrès réalisés dans la Birmanie sont certes bienvenus, mais pour que la situation continue de s’améliorer, une offre globale et coordonnée doit être faite à la Birmanie, consistant à lever les sanctions progressivement, au fur et à mesure que des progrès concrets pourront être constatés et mesurés par rapport aux références fixées en 1996 et aux indicateurs établis par la CSI pour imposer des sanctions en février 2012.

L’OIT doit également fournir des explications. En effet, le protocole d’entente de trois ans signé récemment entre le BIT et le gouvernement de Birmanie, donne au régime une marge de manœuvre considérable et lui permet de souffler, sans raison apparente. Pourquoi ce délai de trois ans? Nous devons commencer à éradiquer le travail forcé immédiatement, si on veut l'éliminer rapidement.

Il semble que lorsque les investisseurs jouent l’épreuve de force, les délais deviennent particulièrement malléables. Une fois les sanctions levées, l'UE aura du mal à les réintroduire, d’autant que des indices d’« amélioration » pourront être facilement présentés. Le protocole d'entente ne doit pas servir de prétexte à de nouvelles capitulations, comme réadmission de la Birmanie dans le SPG, qui reviendraient à renoncer aux principes et la responsabilité démocratiques.

Ce n’est pas le bon moment pour lever les sanctions imposées à la Birmanie.