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Kraft et Cadbury, les vainqueurs et le butin

22.01.10 Editorial
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A moins d’une surprise de dernière minute, Kraft Foods, le deuxième groupe agroalimentaire au monde, absorbera le confiseur britannique Cadbury. A peine un mois après avoir qualifié Kraft de société "peu ciblée" et déclaré "qu’il n’y avait aucun avantage stratégique, gestionnaire, opérationnel ou financier à s’associer à Kraft", le président de Cadbury, Roger Carr, a annoncé que l’offre de rachat de Kraft était correcte. Il a félicité le géant américain pour son engagement envers "notre héritage, nos valeurs et nos salariés dans le monde entier"… tout en reconnaissant que des suppressions d’emplois seraient inévitables.

Dans le monde de la finance, ce n’est pas toujours le plus impatient qui gagne. Soumis à la pression croissante des "attentes" des investisseurs, Kraft a supprimé plus de 19'000 emplois entre 2004 et 2008 et s’est fortement endetté pour financer des rachats d’actions. Jusqu’à l’an dernier, lorsque le mouvement s’est ralenti à cause des difficultés financières liées à l’absorption des opérations biscuits européennes de Danone, les dividendes versés aux actionnaires ont augmenté chaque année, voire tous les trois mois, en même temps que la société cherchait à atteindre ses objectifs de profit par des réductions de coûts successives.

Cadbury a réagi plus lentement à la pression liée à la "création de valeur" pour l’actionnaire. Ce n’est qu’en 2008 que la société est passée à la vitesse supérieure, avec le programme Vision into Action qui visait à accroître les dividendes parallèlement à la suppression prévue de 15 pour cent de sa main d’œuvre dans le monde. Ayant démarré plus tardivement, le bilan de Cadbury était plus équilibré quand Kraft et les experts en fusions-acquisitions ont commencé leurs manœuvres d’approche. En décembre 2009, alors que les tractations concernant le prix de rachat s’intensifiaient, le confiseur Cadbury a annoncé qu’il prévoyait de verser des dividendes plus élevés aux actionnaires en réduisant les investissements et en augmentant sa marge.

Le syndicat britannique UNITE s’est battu pour préserver l’indépendance de Cadbury et a mis en garde contre le fait qu’un rachat financé par un fort endettement encouragera inévitablement la cession d’actifs et les suppressions d’emplois. Il est aujourd’hui confronté aux conséquences potentielles d’une dette plus importante encore : sur un prix de rachat final de 11,9 milliards de livres sterling (13,6 milliards d'euros), plus de 7 milliards de livres sterling ont été empruntés. Le poids de cette dette ne pèsera pas que sur Cadbury, mais également sur l’ensemble des travailleurs/euses des opérations de Kraft dans le monde ; travailleurs et travailleuses qui devront élaborer une stratégie de défense au plan mondial.

La direction de Cadbury peut se féliciter de gains inespérés, les conseillers financiers des deux bords vont empocher des millions et les fonds spéculatifs qui ont acquis des actions Cadbury au plus fort de l’offre d’achat hostile (et qui en détiennent aujourd’hui près de 30 pour cent) peuvent commencer à encaisser leurs dividendes et à vendre à terme leurs titres Kraft.

Il est toujours facile, bien que futile, d’accuser des patrons comme Roger Carr de trahison. Ce n’est pas la première fois qu’il préside au démantèlement d’une entreprise. Les affaires sont les affaires et les patrons ont une "obligation fiduciaire" à produire des résultats au nom des actionnaires. Il est par contre tout à fait pertinent de se demander quelle est la signification du terme "investissement" dans un monde où les "banques d’investissement" n’ont aucun enjeu dans les sociétés qui font les frais des OPA, où les investisseurs achètent et vendent des actions dans une perspective qui, de plusieurs années s’est raccourcie à quelques jours, si ce n’est minutes, et où les fonds de pension qui agissent en principe au nom des intérêts à long terme des salariés/es se comportent de plus en plus comme des traders essentiellement motivés par l’accroissement de leurs actifs. Il semble que les seuls à avoir un investissement à long terme dans l’avenir de leur lieu de travail soient les travailleurs qui donnent une vraie valeur à une entreprise. Le rachat de Cadbury montre à quel point leurs moyens d’action sont limités – et ce qui doit changer.