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La biologie synthétique : le génie génétique poussé à l’extrême

27.04.14 Feature
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Deux décennies après l’introduction de cultures génétiquement modifiées dans la chaîne alimentaire, de nouvelles technologies non réglementées sont rapidement commercialisées et menacent les ressources agricoles, la biodiversité, les moyens de subsistance et la santé et la sécurité des travailleurs/euses et des consommateurs. Comme dans le cas des semences génétiquement modifiées, ces technologies intensifieront le processus de concentration des entreprises qui s’est déjà emparé du système alimentaire mondial. Elles se distinguent par la multiplication des applications nanotechnologiques commerciales aux intrants alimentaires, aux pesticides, à la transformation alimentaire et à l’emballage ; par le développement commercial rapide de la biologie synthétique, une forme extrême de génie génétique qui emploie des techniques industrielles pour produire des composants auparavant dérivés des végétaux ; et par de nouvelles variétés de semences génétiquement modifiées, comme les semences porteuses du transgène Terminator, rendues stériles pour obliger les agriculteurs à racheter des semences à chaque plantation et les rendre totalement dépendants aux intrants industriels.

Ce document est le premier d’une série d’articles que l’UITA a entrepris de publier, rédigés par le groupe ETC (anciennement RAFI), une organisation de la société civile avec laquelle l’UITA collabore depuis plusieurs années. Les articles suivants porteront sur les conséquences potentielles de la nouvelle génération de nanotechnologies et de produits relatifs aux semences.
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Il y a vingt ans exactement, le premier aliment génétiquement modifié était commercialisé, donnant lieu à de vives controverses, des querelles commerciales et une résistance des agriculteurs, des consommateurs et des travailleurs dans le monde entier. Aujourd’hui, l’industrie de la biotechnologie s’apprête à lancer un second assaut contre le système alimentaire au moyen d’une plateforme technologique nommée biologie synthétique, qualifiée de « manipulation génétique extrême » ou OGM 2.0, qui utilise des moyens de haute technologie pour produire des organismes artificiels. Les premières victimes de ces recherches seront les paysans des tropiques qui cultivent la vanille, le safran, la stévia, le cacao, le caoutchouc, la noix de coco et des arômes alimentaires naturels.

Des outils de laboratoire permettent aujourd’hui de fabriquer de toute pièce des séquences d’ADN, un processus uniformisé et automatisé par la biologie synthétique. Ces machines de dimension relativement modeste, appelées synthétiseurs d’ADN, effectuent une synthèse chimique sur mesure de séquences d’ADN, la molécule qui contient toutes les informations nécessaires au fonctionnement d’un organisme. Ces séquences peuvent être ensuite insérées dans le génome de la levure, d’une bactérie ou d’une algue et donner l’ordre aux microbes de produire les composants recherchés dans des cuves de fermentation. Les biologistes de ce nouveau champ d’activités, en plein essor, créent à présent des « programmes » génétiques qui manipulent les cellules vivantes, les transformant en des usines miniatures. Les investisseurs estiment que la biologie synthétique sera le prochain boom des technologies de pointe, à la différence près que les bioingénieurs ne programment pas des sites web ou des téléphones intelligents, mais des organismes intégrés dans les aliments, les cosmétiques, les arômes et les parfums.

Evolva, une entreprise de biologie synthétique suisse, est un exemple de cette nouvelle vague. Evolva est parvenue à modifier la levure de bière de façon à ce qu’elle secrète de la vanilline – le principal composant de l’arôme de la vanille. La société a également produit une levure transgénique qui fournit les principaux composants du safran et une autre qui fournit des stéviosides, l’édulcorant naturel habituellement extrait des plants de stévia. Dans chacun des cas, la levure est mise à fermenter dans des cuves pour produire le composant souhaité. La vanilline synthétique sera commercialisée cet été par la société International Flavors and Fragrances (IFF), basée aux Etats-Unis. La stevia de synthèse devrait être sur le marché l’année prochaine (sans doute initialement dans les boissons Coca-Cola) et le safran devrait suivre dans quelques années. Evolva prévoit de produire d’autres ingrédients biologiques de synthèse par le biais d’accords avec les principales sociétés d’arômes et de parfums alimentaires, dont le chili, le ginseng et la caféine. D’autres entreprises de biologie synthétique, comme Solazyme, Allylix et Isobionics, offrent des alternatives de synthèse à l’huile de coco, le beurre de cacao, et les huiles de pamplemousse et d’orange – ces deux dernières sont déjà commercialisées.

Ces évolutions technologiques posent des questions fondamentales pour les agriculteurs et les communautés dont la production sera remplacée par des produits de synthèse. La vanille, par exemple, est d’une culture longue et difficile et les cultivateurs de vanille de Madagascar – comme les producteurs de cacao – sont déjà les perdants d’une longue et abusive chaîne d’approvisionnement. La vanille cultivée subit déjà la concurrence de la production industrielle de la vanilline. Étant donné qu’Evolva er IFF estiment que leur vanilline peut être étiquetée comme « parfum naturel » sur les produits finis (la fermentation est juridiquement un processus naturel), cette vanilline issue du génie génétique entrera directement en concurrence avec la culture de la vanille. Le safran est tout aussi difficile à récolter. Il faut environ 40 heures de travail aux cueilleurs de safran iraniens pour récolter de quoi avoir un kilo de safran. C’est également l’épice la plus chère au monde, qui n’avait jusqu’à présent aucune concurrence artificielle, et une importante source de devises étrangères pour les pays producteurs. Le safran synthétique d’Evolva aura des conséquences pour les moyens de subsistance des cultivateurs et cueilleurs de safran dans le monde.

Comme dans le cas des OGM, de nombreuses autres questions se poseront au fur et à mesure que les produits de la biologie synthétique se généraliseront dans la chaîne alimentaire, notamment les problèmes environnementaux et de sécurité alimentaire qui pour l’instant n’ont pas été résolus. IFF, le second producteur mondial d’arômes, a du verser des millions de dollars de dommages et intérêts aux travailleurs dont les poumons ont été gravement endommagés par l’exposition au diacétyle, un additif utilisé dans la préparation de divers aliments (voir article de l’UITA). Le diacétyle n’est pas un produit de la biologie synthétique, mais la maladie résultant de l’exposition au diacétyle, la bronchiolite oblitérante, illustre les dommages que peuvent provoquer des arômes ou d’autres produits insuffisamment testés et réglementés sur les lieux de travail. Le monopole détenu par quelques entreprises sur les technologies de la biologie synthétique consolidera encore plus le pouvoir des grandes sociétés alimentaires et de la biotechnologie, comme cela a été le cas pour la technologie des OGM.
Certaines de ces questions seront abordées cet été dans le cadre des débats de la Convention sur la diversité biologique (CDB) des Nations unies, notamment la manière dont il serait possible d’exercer une surveillance internationale efficace dans ce secteur. A ce jour, 116 organisations, dont l’UITA, ont approuvé une série de principes concernant la surveillance de la biologie synthétique, dont la demande d’un moratoire sur la diffusion commerciale et dans l’environnement d’organismes synthétiquement modifiés.
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Des mises à jour régulières sur la biologie synthétique, dont ses répercussions économiques, environnementales et sur la santé et la sécurité, peuvent être consultées sur le site internet de SynBioWatch.