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La défense de la démocratie en Indonésie

22.10.14 Editorial
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L'entrée en fonction du président démocratiquement élu de l'Indonésie, Joko Widodo ("Jokowi»), le 20 octobre, marque la plus importante victoire pour la démocratie depuis la chute de la dictature militaire de Suharto, en 1998.

Cependant, l'important n’est pas tant qui a remporté les élections présidentielles de juillet, mais qui les a perdues. En effet, celui qui a perdu de justesse les élections, c’est l’ancien général de l'armée, Prabowo Subianto qui, après une campagne de dénigrement de la démocratie, qu’il qualifie d’inefficace et sans intérêt pour les masses indonésiennes, avait promis un retour au régime implacable de l’Ordre nouveau. Au point que l'image de Suharto, qui a fait régner une dictature militaire répressive sur le pays pendant 32 ans, s’est  invitée à  la campagne électorale de Prabowo, et figurait sur les affiches électorales de son pupille dans tout le pays.

Ex beau-fils de Suharto, Prabowo a, lui-même, un long parcours de graves violations des droits humains, dont la participation à l'enlèvement et à la disparition de militants des droits de l'homme en 1998, et l’orchestration de massacres au Timor oriental. Malgré ce bilan de violations des droits de l'homme, et bien qu’il se soit ouvertement engagé à démanteler la démocratie et à rétablir un régime autoritaire, Prabowo a obtenu un appui considérable de plusieurs syndicats, parmi les plus grands du pays. Dédaigneux des droits de l'homme, qu’ils considèrent ne pas être une affaire syndicale, les syndicats en question ont officiellement déclaré leur soutien à Prabowo et, partant, plongé le mouvement syndical indonésien dans la plus grande crise qu’il ait connu depuis la fin de la dictature de Suharto, il y a seize ans. Étant donné que certains de ces syndicats figurent parmi les plus grands syndicats sectoriels à l’échelle nationale, et qu’ils sont affiliés à l'échelle internationale, la crise a fini par s’étendre au mouvement syndical international.

Lorsque Prabowo a perdu les élections de juillet, ces syndicats ont mobilisé des dizaines de milliers de travailleurs/euses pour protester contre les résultats des élections, et ont déclaré qu'ils feraient tomber le gouvernement de Jokowi. Et ce, malgré les politiques sociales progressistes de Jokowi, comme l'accès gratuit à la santé et à l'éducation pour les familles à faible revenu, l’aide social pour les communautés les plus pauvres, la remise en place des transports en commun et des services publics et l'éradication de la corruption au sein du gouvernement. Et, par-dessus tout, malgré son engagement pour la défense de la démocratie, qu’il s’efforce de faire fonctionner. Paradoxalement, c'est justement contre cela que les syndicats mobilisés protestent. Après le rejet définitif de son appel des résultats des élections par la commission électorale, Prabowo a déclaré qu’il ne fallait plus organiser d’élections directes en Indonésie, et qu’il fallait restaurer le système de désignation politique qui existait sous la dictature de Suharto. Une fois de plus, certains syndicats se sont mobilisés pour soutenir cette attaque frontale contre la démocratie.

À  l’opposé de cette situation, on trouve la courageuse lutte pour la démocratie qui se déroule à Hong Kong, où des centaines de milliers de personnes sont sorties dans les rues pour exiger le droit à des élections directes. La Confédération syndicale de Hong Kong (HKCTU) a joué un rôle de premier plan, appelant à une grève générale le 29 septembre. L’UITA est extrêmement fière de ses membres de Hong Kong, qui se sont joints à la grève et ont soutenu les manifestations pro démocratie.

En Indonésie, nous sommes fiers de nos membres qui ont refusé de se joindre aux syndicats qui ont officiellement déclaré leur soutien à Prabowo et se sont mobilisés contre la démocratie. Si nos affiliés avaient suivi, ils auraient été en contradiction avec les principes et valeurs de l'UITA, et en auraient été exclus. Il n'y a pas de place, à l'UITA, pour les syndicats qui soutiennent les dictateurs, confirmés ou en herbe. En 2012, le 25ème Congrès de l'UITA a réaffirmé que les syndicats doivent s'organiser pour "soumettre les forces économiques qui influencent et façonnent nos vies au contrôle politique de la démocratie" et combattre "au coude à coude avec tous ceux qui luttent toujours pour obtenir des droits politiques et démocratiques fondamentaux dans leurs pays ». Il ne s’agissait pas d’une résolution, mais d’un appel urgent à la reconstruction et à la défense du système démocratique, dont dépendent tous nos objectifs, en tant que mouvement syndical. Voilà pourquoi nos membres de Hong Kong sont descendus dans les rues pour soutenir la démocratie, et voilà pourquoi nos membres en Indonésie n'ont pas pris les rues pour appuyer la dictature.

La lutte est loin d'être terminée en Indonésie, où la présidence Jokowi va devoir faire face à une crise continuelle, due aux agissements des politiques et des militaires qui défendent les intérêts des élites, et qui tentent de restaurer la dictature de l’Ordre nouveau. En Indonésie, il faut de véritables syndicats, qui tiennent tête à cette menace et s’engagent sans faillir dans la lutte pour la défense de la démocratie et des droits démocratiques. À nous de les soutenir, sur le plan l'international.