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La fuite du chapitre sur l’investissement révèle la prise de pouvoir des transnationales au cœur des négociations sur le traité de « libre échange » transpacifique

07.04.15 Editorial
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Le chapitre fuité sur l’investissement, compris dans le traité de libre échange transpacifique (TPP)  – le méga accord sur le commerce et l’investissement actuellement négocié en secret entre les Etats-Unis et onze pays riverains du Pacifique (Australie, Brunei, Canada, Chili, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Pérou, Singapour et Vietnam) – confirme pleinement l’idée que s’en font l’UITA et les nombreux autres opposants à ce traité et aux autres accords de même nature. Il s’agit d’un accaparement du pouvoir par les sociétés transnationales, d’une tentative d’étendre la portée et les capacités juridiques des investisseurs transnationaux, délibérément et fallacieusement présenté comme un « accord commercial ».

Le chapitre sur l’investissement, publié par WikiLeaks (en anglais) le 25 mars et accompagné d’une analyse détaillée faite par le groupe Public Citizen, étend la capacité des investisseurs transnationaux à faire valoir leurs prétentions devant des tribunaux à huit clos qui pourront passer outre les lois, réglementations et décisions judiciaire des États, les procédures d’autorisation des gouvernements et des autorités de délivrance de brevets, aux niveaux national et infranational. Un dispositif juridique parallèle, favorable aux sociétés, permettra aux investisseurs transnationaux d’intenter une action en justice contre les gouvernements en compensation de toute mesure juridique ou réglementaire qui pourrait avoir un impact sur leurs bénéfices courants ou anticipés. Le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (MRD – ISDN en anglais), inscrit dans plusieurs accords régionaux et bilatéraux s’inspirant de l’Accord de libre échange nord-américain (ALENA), a été utilisé avec un effet dévastateur pour remettre en cause la capacité des gouvernements à protéger l’environnement, la santé et la sécurité des travailleurs/euses et des consommateurs, les systèmes de soins de santé publics, les terres et les ressources publiques, à fournir des médicaments à un prix abordable, à promouvoir les énergies propres, les systèmes alimentaires locaux et à réglementer les flux de capitaux pour assurer la stabilité financière (de nombreux exemples figurent dans la publication de l’UITA, « Ces accords commerciaux qui menacent la démocratie »).

Le document fuité, qui intègre les éléments les plus toxiques de traités précédents similaires, autorise les sociétés transnationales à exiger des indemnisations pour « expropriation indirecte » liée à toute nouvelle mesure ou action réglementaire d’un État ayant un impact potentiel sur la rentabilité d’une société. Celle-ci pourrait alors demander à être indemnisée proportionnellement aux bénéfices « attendus ». L’exigence avancée par les sociétés transnationales de « normes minimales de traitement » comprend un engagement contraignant à « ne pas altérer le cadre juridique et commercial dans lequel l’investissement a été réalisé ». Les sociétés peuvent ainsi non seulement s’opposer aux lois et réglementations existantes, mais également, par le biais du mécanisme de règlement des différends,  intenter une action en dommages-intérêts pour des « pertes attendues » dues à toute intervention réglementaire future d’un État. La protection de l’investissement, autrefois limitée aux biens physiques, a été élargie pour comprendre les réclamations au titre de la propriété intellectuelle, des actifs financiers et des autorisations réglementaires.

Malgré une forte opposition au TPP et au TTIP, un traité analogue actuellement négocié entre l’Union européenne et les Etats-Unis, et des débats publics sans précédent, en particulier au sujet du mécanisme de règlement des différends, l’analyse de Public Citizen révèle que le chapitre sur l’investissement ayant fait l’objet d’une fuite donne en fait plus de pouvoir aux investisseurs que la version précédente qui avait fuité en 2012.

Dans le cas du TTIP, les clauses relatives à l’investissement sont encore en cours de négociation et la version provisoire n’a pas encore été dévoilée, mais le chapitre du TPP donne une bonne idée de ce qui se prépare.

Les « droits » des sociétés en matière d’investissement sont au cœur de ces traités. Ils ne portent ni sur le commerce, ni sur les emplois décents dont nous avons besoin.

Le mécanisme de règlement des différends donne une arme redoutable aux investisseurs, leur permettant de s’enrichir toujours plus et de démanteler la gouvernance démocratique. Il n’est toutefois pas le seul instrument d’exécution de cet ordre du jour. Les accords sur le commerce et l’investissement comprennent également des mécanismes supplémentaires de règlement des différends en matière d’investissement entre États mêmes et les investisseurs peuvent également faire valoir leurs revendications sur la base de contrats. Le très conservateur Cato Institute a conseillé aux lobbyistes des sociétés de renoncer discrètement au mécanisme de règlement des différends en raison de la forte opposition de l’opinion publique et de tendre vers leurs objectifs avec ces autres instruments dans le cadre des négociation du traité. Les opposants à ces accords doivent conclure de cette approche que les traités dans leur ensemble doivent être combattus pour ce qu’ils sont : une attaque des transnationales contre la démocratie.