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La bataille contre l’ACS : quand tout devient un service, un Accord sur le commerce des services affecte tout le monde

11.03.18 Feature
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Depuis 2013, un conclave de gouvernements qui se sont autoproclamés « les vrais bons amis des services » négocie dans le plus grand secret un Accord sur le commerce des services (ACS – ou TiSA en anglais) qui établirait les règles du capitalisme au XXIe siècle, des règles qui échapperaient à tout pouvoir de réglementation des États, aujourd’hui et à l’avenir. Ce projet d’accord est porté par un noyau dur de pays riches, dont les États-Unis, l’Union européenne, le Japon, l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, la Suisse et la Corée du Sud et leurs grandes entreprises. L’objectif stratégique est de transposer cet accord dans la structure de l’OMC afin d’ancrer ses règles dans le régime commercial et d’investissement mondial.

Un nouveau rapport, TiSA n’est pas notre avenir ! (en anglais uniquement) a été rédigé pour l’UITA par la professeure Jane Kelsey de l’université d’Auckland. Fruit d’un examen minutieux de l’impact potentiel de l’ACS sur les travailleurs-euses des secteurs de l’UITA et de ses implications plus vastes pour le mouvement syndical, la société et la gouvernance démocratique, ce rapport révèle l’étendue de l’accaparement du pouvoir par les grandes entreprises.

Ce rapport explique dans un langage clair et compréhensible le contexte et la portée des règles complexes de l’ACS et la manière dont elles sont destinées à pérenniser les priorités des grandes entreprises. L’ACS – et les volets « commerce des services » d’autres méga-traités, comme l’ancien Accord de Partenariat transpacifique (TPPA), ressuscité sous l’acronyme anglais CPTPP (pour Comprehensive and Progressive Agreement on Trans-Pacific Partnership) – sont d’une part la continuation des efforts déployés de longue date pour parachever l’ordre du jour des grandes entreprises à l’OMC, en instituant des règles contraignantes pour les services publics et privés, la finance et l’investissement, les réglementations nationales et les marchés publics. Mais d’autre part, la nouvelle mouture du « commerce des services » fusionne ces objectifs bien connus avec la force de frappe des technologies numériques, illustrée par l’essor des grandes entreprises de technologie.

Les règles de l’ACS concernant le commerce électronique n’ont rien à voir avec les achats en ligne. Elles portent sur le contrôle des algorithmes et des flux de données indispensables à la numérisation, voulue par ces entreprises, de tous les aspects de la vie, du travail y compris. Lorsque les règles de l’OMC ont été adoptées il y a plus de vingt ans, le numérique et l’agriculture de précision, basée sur des flux de données émanant de serveurs informatiques distants, n’existaient pas. Pas plus que les produits carnés et laitiers fabriqués en laboratoire, les repas imprimés en 3D, la pêche « intelligente », Airbnb, la livraison de kits repas par Amazon, UberEats et la surveillance électronique des travailleurs-euses.

Selon les règles actuelles de l’OMC, les produits des secteurs de l’UITA que sont la transformation des aliments et la fabrication de boissons, l’agriculture et la pêche, sont traités comme des biens dès lors qu’ils font l’objet de transactions transfrontalières. L’ACS introduirait une nouvelle série de règles qui prévoient que chaque tâche actuelle et future effectuée par les travailleurs-euses de ces secteurs pourrait être considérée comme un service distinct et indépendant pouvant être sous-traité à un prestataire de services transnational, exonéré de toute obligation et protégé par les règles de l’ACS. Ces prestataires ne seraient pas obligés d’être physiquement présents dans les pays où ils opèrent, leur permettant ainsi d’échapper à toutes réglementations et responsabilités.

Ces mêmes règles s’appliqueraient aux industries manufacturières et extractives. Dans les secteurs de l’UITA déjà traités comme des services – l’hôtellerie-restauration et la restauration collective – l’ACS serait une incitation et donnerait un nouvel élan au processus actuel d’externalisation et de précarisation du travail.

Le rapport identifie les nombreux domaines dans lesquels l’ACS renforcerait la concentration du pouvoir des grandes entreprises dans tous les secteurs de l’UITA et accélérerait la fragmentation et la précarité du travail dans chacun de ces secteurs, réduisant d’autant la capacité des travailleurs-euses à se syndiquer et à négocier au niveau du lieu de travail, et aux plans national et international.

L’ACS accélérerait le processus d’automatisation de la production, avec une destruction potentiellement massive des emplois, tandis que ses dispositions réduiraient radicalement les capacités de négociation par les travailleurs-euses de l’utilisation et de l’impact de ces nouvelles technologies. Dans le même temps, les règles de l’ACS sur les services financiers bloqueraient effectivement tout effort sérieux de réglementation, au moyen de nouvelles lois ou dispositions, d’un secteur financier enclin aux crises. Les flux financiers spéculatifs et volatiles, qui sont de plus en plus le moteur de la production alimentaire et de l’économie mondiale en général, acquerront ainsi un pouvoir de perturbation plus grand encore.

Comprendre l’ACS et les dispositions similaires de la nouvelle génération d’accords sur le commerce et l’investissement est indispensable pour les faire échouer. Comme le note le rapport, les négociations sur l’ACS sont actuellement suspendues parce que l’opposition à ce genre d’accords les rendent – pour le moment – politiquement toxiques. La tâche, dans l’immédiat, est de faire en sorte qu’ils soient définitivement abandonnés. Vaincre l’ACS est à la fois possible et nécessaire. Mais dans un monde où tout est devenu un « service marchand », ces accords resurgiront sous une autre forme, tout comme les dispositions sur l’investissement de l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI), abandonné sous la pression de la société civile, sont régulièrement réapparues dans les accords régionaux et bilatéraux sur le commerce et l’investissement. La tâche plus vaste à laquelle sont confrontés le mouvement syndical et ses alliés est de démanteler la toile toujours plus dense des accords commerciaux et d’investissement, pour récupérer l’espace politique démocratique nécessaire à la défense des droits syndicaux, des moyens de subsistance durables, des services publics, de l’environnement et des ressources alimentaires de la planète.

CLIQUER ICI POUR TÉLÉCHARGER LE RAPPORT (disponible en anglais uniquement).