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La démocratie en péril en Inde

17.02.20 Editorial
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La citoyenneté, qui donne accès à tous les droits, est en butte aux attaques du gouvernement indien. Au cours des derniers mois, des milliers de personnes ont été détenues et des dizaines tuées lors de manifestations qui se poursuivent dans tout le pays pour protester contre les actes du gouvernement qui sapent les fondements de la démocratie indienne.

Le gouvernement du parti au pouvoir, le BJP (Bharatiya Janata Party), dirigé par le Premier ministre Narendra Modi, met rapidement en œuvre son rêve historique de remplacement de la démocratie laïque par un ethno-nationalisme autoritaire qui exclut les musulmans, la dissidence, les libertés civiles et les droits démocratiques, dont les droits syndicaux (article en anglais).

Une nouvelle loi – la Citizenship Amendment Act (CAA) ou Loi sur la Citoyenneté (Amendement) – adoptée par le Parlement en décembre dernier, institutionnalise la stigmatisation des musulmans en facilitant l'obtention de la citoyenneté indienne par les réfugiés non musulmans d'Afghanistan, du Bangladesh et du Pakistan, arrivés en Inde avant 2015. Cette loi a été précédée par un décret présidentiel révoquant l’autonomie constitutionnelle de l'État du Jammu-et-Cachemire, le seul État majoritairement musulman du pays, dorénavant placé sous l’administration directe de New Delhi. Le gouvernement a déployé plusieurs dizaines de milliers de paramilitaires supplémentaires dans ce qui était déjà l'une des zones les plus militarisées du monde, coupé l’accès à l’internet et au téléphone, imposé un couvre-feu extrêmement strict et interdit la présence d’observateurs internationaux dans la région, qui reste verrouillée par l’armée.

Dans le sillage de l’adoption de la CAA, le gouvernement a déployé des efforts considérables visant à priver potentiellement des dizaines de millions de personnes de leurs droits de citoyenneté. Un précédent a été établi dans l'État de l'Assam où près de deux millions de personnes ont été déchus de leur citoyenneté en 2015 après une vaste opération de recensement. Les habitant-e-s incapables de prouver la date d’installation de leur famille dans l'État – et une grande partie sont simplement trop pauvres pour accéder aux documents requis – ont été exclu-e-s du Registre national des citoyen-ne-s (NRC), incarcéré-e-s dans des centres de rétention et privé-e-s de tous leurs droits.

Alors que le gouvernement a dans un premier temps nié avoir l’intention de déployer à l’échelle nationale cette opération de recensement, il a en décembre dernier approuvé la création d’un registre national des citoyen-ne-s, basé sur un nouveau recensement de la population, qui aurait précisément cette finalité. Et alors que le Premier ministre réfute l’existence en Inde de centres de rétention, où sont détenu-e-s ceux et celles qui n’apparaissent pas dans le Registre national de citoyenneté, il y en a en réalité dix dans le pays, dont 6 en Assam, et de nouveaux centres sont en cours de construction.

Le gouvernement a réagi à la vague de manifestations par la répression et une violence meurtrière. Les policiers ont tiré à balles réelles sur les manifestant-e-s ou sont restés passifs pendant que des hommes de main armés attaquaient brutalement les protestataires. Les dirigeant-e-s du BJP ont exhorté à la « vengeance » contre les manifestant-e-s, appelant à les « brûler vifs » et à « les abattre comme des chiens », et menacé de les poursuivre en justice pour sédition en vertu de la loi sur la sécurité nationale (National Security Act).

Le mouvement de contestation de la CAA et du Registre national des citoyen-ne-s interprète à juste titre ces initiatives comme des tentatives de définir la citoyenneté en fonction de l’appartenance religieuse et comme faisant partie d'un assaut multiforme contre le fondement laïc de la démocratie indienne et le plus fondamental des droits : le droit d'avoir des droits.

L’intolérance et l’exclusion caractérisant le projet du BJP ne laissent pas de place à la solidarité qui est la base universelle du mouvement syndical. Cet engagement historique en faveur de la solidarité et de la démocratie explique la résilience de notre mouvement et est le garant de notre avenir. Les syndicats, partout dans le monde, doivent se tenir aux côtés des manifestant-e-s en Inde.

Des femmes maintiennent depuis le 15 décembre un sit-in 24h/24 contre la CAA et le Registre national des citoyen-ne-s à Shaheen Bagh, un quartier de Delhi.