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Les documents du traité divulgués le confirment : le TTIP est un accord commercial qui menace la démocratie

18.05.16 Editorial
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Les projets de textes confidentiels (documents en anglais) de l’accord de « libre échange » proposé par les États-Unis et l’Union européenne, le TAFTA (TTIP en anglais), publiés par Greenpeace Pays-Bas le 2 mai confirment ce que ses critiques soutiennent depuis le début des négociations. Le TTIP est un accord commercial qui menace la démocratie.

Les négociations du traité n’ont jamais été axées sur la réduction des droits de douane – qui ont atteint un niveau historiquement bas – entre les États-Unis et l’Union européenne. Comme l’Accord de partenariat transpacifique (TPP) et l’Accord économique et commercial global (AECG) (CETA en anglais) entre le Canada et l’UE, conclus mais pas encore ratifiés, le principal objectif du TTIP est de renforcer le pouvoir déjà considérable des sociétés transnationales en limitant les capacités de réglementation des gouvernements et de verrouiller le système pour empêcher que de nouvelles mesures de réglementation voient le jour.

Les chapitres qui ont fuité (13 sur les 24 chapitres prévus) démontrent comment le TTIP saperait, à tous les niveaux, la capacité des gouvernements à adopter et faire appliquer des lois et réglementations destinés à protéger la santé et la sécurité des travailleurs/euses et des consommateurs, ainsi que l’environnement, contre les déprédations des entreprises.

La méthode brutale employée pour abaisser les normes et s’assurer qu’elles restent basses est le chapitre sur l’uniformisation des réglementations européennes et américaines (que les négociateurs de l’UE appellent la « coopération réglementaire » et ceux des États-Unis « la cohérence et la transparence des réglementations et autres bonnes pratiques réglementaires »). Toutes les propositions de réglementations doivent être évaluées en fonction de leur impact sur le commerce et l’investissement, doivent se conformer aux conditions « les moins contraignantes » (sans faire de référence à une quelconque réglementation comme critère) et être soumises à une analyse coût/bénéfice. Les gouvernements sont tenus de faire connaître à l’avance tout projet de réglementation qu’ils comptent adopter et de garantir la participation des « personnes physiques et morales » (lire : les transnationales) au processus d’élaboration et d’examen des réglementations. En tant que personnes morales, les entreprises de chaque partie peuvent demander l’amendement ou l’abrogation de toute réglementation qu’elles jugent contestable. Le principe de précaution inscrit dans le droit de l’UE n’est nulle part mentionné dans le projet de texte de l’UE, qui propose à la place la « reconnaissance mutuelle de l’équivalence des actes réglementaires » – un renoncement préventif aux normes généralement plus élevées de l’Europe.

Le rôle institutionnel des transnationales est développé plus avant dans le chapitre sur les Barrières techniques au commerce, au sujet desquelles existe déjà un accord dans le cadre de l’OMC et qui a permis aux entreprises de contester des réglementations concernant, par exemple, les paquets neutres pour les produits du tabac, l’étiquetage indiquant le pays d’origine, le rinçage chimique des volailles et les restrictions posées à l’importation de cultures génétiquement modifiées. Le projet de texte américain stipule que « chaque Partie permettra à des personnes de l’autre Partie de participer à l’élaboration des normes, de la réglementation technique et aux procédures d’évaluation de la conformité » et que « chaque Partie permettra à des personnes de l’autre Partie de participer au développement de ces mesures à des conditions non moins favorables que celles qu’elle accorde à ses propres personnes ». Les comités de représentants des transnationales remplacent le processus démocratique. Le « droit de réglementer » évoqué dans le projet de chapitre de l’UE sur l’investissement publié l’an dernier perd tout son sens à la lumière des dispositions qui vident complètement de sa substance le processus de décision démocratique.

Que nous disent d’autre les textes rendus publics ? Les États-Unis cherchent à prendre pied sur le potentiel marché européen de « produits de technologie agricole moderne », c’est à dire les cultures génétiquement modifiées. Le chapitre consacré aux mesures de protection sanitaire et phytosanitaire stipule un ensemble complexe d’exigences « basées sur des données scientifiques » qui rendrait plus difficile encore pour l’UE de maintenir les restrictions sur l’importation et la production d’organismes génétiquement modifiés. L’UE est conviée à souscrire au programme américain Global Low Level Presence Initiative (en anglais) dont l’objectif est d’éradiquer les restrictions à l’importation d’aliments non-OGM contenant des traces de contamination par des OGM, aujourd’hui omniprésents en raison de l’expansion des cultures OGM. Cette « initiative internationale » n’est rien d’autre qu’une colonisation par les OGM, par des moyens détournés.

Les textes contiennent bien d’autres points nocifs pour la démocratie et le mouvement syndical, et nous n’avons pas encore pris connaissance de la liste complète des annexes sur les services et des chapitres sur la propriété intellectuelle et les services financiers, autant d’instruments destinés à renforcer le pouvoir des entreprises. Les documents divulgués démontrent l’hypocrisie totale des gouvernements des deux parties qui tentent de faire passer le TTIP comme un accord respectant le rôle de réglementation de l’État et garantissant des normes élevées de sécurité pour les travailleurs et les consommateurs et de protection de l’environnement.

En ce qui concerne l’investissement, le noyau du traité, la proposition de l’UE d’établir une « Cour » internationale chargée d’arbitrer les poursuites engagées par les investisseurs n’est qu’une nouvelle version purement cosmétique (page web en anglais) des tribunaux à huis clos que les États-Unis continuent à soutenir pour le règlement des différends investisseurs-États (investor-state dispute settlement (ISDS)).  L’un comme l’autre donnent la possibilité aux investisseurs étrangers de remettre en cause les lois, les réglementations, et même les décisions judiciaires et administratives qu’ils jugent contestables.
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L’opposition au TTIP ne cesse de grandir. Le 7 mai, plus de 40.000 personnes ont demandé l’annulation du TTIP (Stop TTIP) lors d’une manifestation organisée par la centrale syndicale nationale italienne CGIL, le syndicat des travailleurs/euses de l’alimentation FLAI, affilié à la CGIL, et des groupes de la société civile.

Le CETA contient également des dispositions relatives à l’ISDS et aux « droits » élargis des investisseurs, sous leur forme la plus toxique, ce qui en fait potentiellement un TTIP par procuration. A peu près toutes les transnationales basées aux États-Unis ont des filiales au Canada qui peuvent invoquer les dispositions du CETA, dont l’ISDS, pour attaquer les réglementations européennes. L’offensive des lobbys industriels peut se généraliser au moyen de la clause de « la nation la plus favorisée ». Elle permettrait aux sociétés et à leurs filiales dans d’autres pays ayant conclu des traités sur le commerce et l’investissement tout aussi détaillés avec l’UE de faire valoir les mêmes « droits » des investisseurs que ceux stipulés dans le CETA. Le TTIP/CETA est un accord groupé. Les syndicats, aux côtés des organisations de la société civile, doivent tirer parti de ces fuites pour maintenir la dynamique de protestation pour faire échouer l’un et l’autre.