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Réglementer les autorités de réglementation? Propositions de nouvelles procédures d’autorisation des pesticides dans l’Union européenne

20.02.19 Editorial
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Si la campagne destinée à bloquer le renouvellement de l’autorisation du glyphosate dans l’Union européenne a échoué à faire interdire cet herbicide, elle a réussi avec brio à révéler l’emprise de l’industrie agrochimique sur les agences de réglementation chargées de protéger la santé publique et l’environnement. Les répercussions de cette campagne continuent à se faire sentir.

Suite aux révélations contenues dans les Monsanto Papers et à des campagnes efficaces relayant l’indignation du grand public concernant le renouvellement, en dépit du bons sens, par les États membres de l’UE de l’autorisation de cet herbicide le plus utilisé au monde, le Parlement européen a mis en place la commission spéciale PEST chargée de réévaluer les procédures d’autorisation des pesticides dans l’Union européenne. Le rapport de la Commission, publié en décembre 2018 et adopté à une majorité écrasante, tous partis confondus, par les eurodéputés le 16 janvier, pointe du doigt les multiples défaillances des procédures d’autorisation. Celles-ci sont notamment : l’utilisation ou le recours à des études d’évaluation des risques (non publiées) fournies par l’industrie et qui nient toute toxicité de leurs produits, contrastant nettement avec les études indépendantes évaluées par des pairs qui ont par exemple conduit le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), à classer le glyphosate comme cancérogène probable pour l’être humain ; l’absence d’études épidémiologiques effectuées en conditions réelles et de tests de suivi ;  la non prise en compte de la toxicité chronique et une absence institutionnalisée de transparence. (Ce rapport de la Commission PEST est disponible ici et mérite d’être lu dans son intégralité).

Quelques heures à peine avant le vote du 16 janvier, les résultats d’une étude  (en anglais uniquement) commandée par une coalition de groupes d’eurodéputé-e-s (Alliance des socialistes et démocrates au Parlement européen, groupe des Verts, groupe confédéral de la gauche unitaire européenne et Gauche verte nordique) ont été rendus publics. Cette étude confirme que l’évaluation des risques du glyphosate effectuée par l'institut fédéral allemand d'évaluation des risques (BfR), sur laquelle s’est basée l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) pour donner son aval au renouvellement de l’autorisation du glyphosate, comprenait des pans entiers, copiés-collés, d’un document fourni par Monsanto. Cela n’a pas empêché un porte-parole de l’EFSA de déclarer que « l’EFSA soutient sans réserve l’intégrité de son processus d’évaluation des risques et ses conclusions sur le glyphosate ».

Suite à la multiplication des scandales et des pressions croissantes exercées sur les institutions européennes, le Parlement européen et le Conseil sont parvenus le 11 février à un « accord provisoire sur la proposition de la Commission européenne relative à la transparence et à la pérennité du modèle d'évaluation des risques dans la chaîne alimentaire de l'UE », pesticides y compris. Ces nouvelles procédures, dans la mesure où elles seront appliquées, constitueront une victoire importante, quoique partielle et liminaire, de la campagne pour l’interdiction du glyphosate. Elles restent en-deçà des recommandations de la Commission PEST (et des demandes de l’initiative citoyenne européenne sur les pesticides), mais pourraient néanmoins être un moyen de desserrer l’emprise du lobby des pesticides sur les agences nationales et européennes de réglementation.

En vertu des nouvelles règles proposées (voir le communiqué de presse  de la Commission européenne), il ne sera plus possible pour les fabricants demandeurs de choisir unilatéralement l’État membre rapporteur (EMR) lors de la première demande d’approbation ou de renouvellement d’autorisation d’une substance active au prétexte de la confidentialité des informations soumises par l’entreprise. Celle-ci devra toujours fournir une évaluation des risques, mais les rapports seront publiés et accessibles, et pourront être étudiés et potentiellement contestés.

Entre autres mesures, l’accord prévoit également que « les États membres, la société civile et le Parlement européen seront associés à la gouvernance de l'EFSA en étant dûment représentés au sein de son conseil d'administration ». L'EFSA sera en mesure de commander des études au cas par cas qui seront financées par le budget de l'UE.

Ce sont bien sûr les détails qui posent problème et chaque domaine qui permettrait d’accroître la supervision par les citoyen-ne-s sera férocement contesté. On peut par exemple s’interroger sur la définition des critères qui permettrait de réfuter une étude de l’industrie, la détermination des « parties intéressées »,  la définition du processus de « consultation » et la garantie de la transparence et du suivi.

Par ailleurs, cette proposition de refonte des procédures ne se limite pas à l’autorisation des pesticides. L’accord provisoire comprend une révision ciblée du règlement sur la législation alimentaire générale de l'Union européenne, ce qui implique de « procéder à la modification de 8 actes législatifs sectoriels ayant trait à la chaîne alimentaire et concernant plus particulièrement les OGM (culture et utilisations dans l'alimentation humaine et animale), les additifs pour l'alimentation animale, les arômes de fumée, les matériaux en contact avec des denrées alimentaires, les additifs, enzymes et arômes alimentaires, les produits phytopharmaceutiques et les nouveaux aliments » (une catégorie qui inclut des aliments qui n'ont pas d'historique de consommation dans l'Union européenne avant 1997, ou des aliments produits avec de nouveaux procédés de fabrication comme la viande et les produits laitiers fabriqués en laboratoire). La portée de cette réforme est plus vaste encore, étant donné que les procédures d’évaluation des risques de l’EFSA sont similaires à celles d’autres institutions scientifiques de l’UE, dont l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), qui informent les législateurs.  
Quelles sont les prochaines étapes ? La Commission européenne doit soumettre des propositions législatives spécifiques au Parlement européen et aux États membres « dans le courant de la période législative actuelle, c’est-à-dire d’ici mi 2019, en vue d’une mise en œuvre rapide ».

La Commission devra tenir ses engagements et ne pas se retrancher derrière les États membres, une tactique qu’elle a utilisée avec succès pour imposer la prorogation de l’autorisation du glyphosate en dépit d’une vive opposition citoyenne. Elle en fait de même pour différer l’interdiction des produits toxiques qui déciment les insectes pollinisateurs en Europe, rendant les États membres responsables de sa lamentable capitulation devant le lobby agrochimique.

La Commission a toutefois reconnu l’impact de l’initiative citoyenne européenne pour interdire le glyphosate, qui a rassemblé plus d’un million de signatures. De nombreux groupes de la société civile et de la protection de l’environnement, ainsi que des organisations syndicales se sont joints à la campagne pour l’interdiction du glyphosate. L’UITA et l’UITA-EFFAT ont, dès sa formation, adhéré à la coalition européenne « Citoyens pour la Science dans la Réglementation des Pesticides ». Tous ces efforts ont contribué à la dynamique politique qui a conduit à l’adoption du rapport de la Commission PEST par 77 pour cent des eurodéputé-e-s.

Une fenêtre a été ouverte, que le lobby agrochimique s’empressera de chercher à refermer. Il est aujourd’hui temps d’intensifier la mobilisation, sur une base la plus large possible, aux plans national, européen et international pour obtenir l’interdiction immédiate des produits agrochimiques les plus toxiques, des réductions ciblées de l’utilisation des pesticides et des mesures globales de soutien à une transition vers une agriculture durable du point de vue social et environnemental.