Published: 30/09/2009
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Le président du conseil d’administration de Nestlé Peter Brabeck a publiquement et directement menacé de déménager la plus grande société d’alimentation mondiale hors de la Suisse, en réponse aux discussions avec le gouvernement sur le plafonnement de la rémunération des cadres supérieurs. Dans une entrevue accordée à l’hebdomadaire Sonntag le 13 septembre, Brabeck a déclaré que “la Suisse pourrait bien ne pas être le bon environnement pour nous”, qualifiant la législation salariale de “début de la fin”.

Le patron de Nestlé a gagné près de 14 millions de francs suisses en 2008, et près de trois millions de plus l’année précédente (grâce aux options d’achat d’actions), alors que le marché boursier était en pleine expansion. La rémunération aux plus hauts échelons de Nestlé s’inscrit dans ce que Nestlé appelle ingénument “création de valeur pour les actionnaires” (alors que les travailleurs/euses et leurs syndicats doivent constamment se battre pour le droit à une part de cette valeur). Bien entendu, M. Brabeck est préoccupé par la règle de droit, et non par son portefeuille : la Suisse, dit-il, était connue pour “ne pas céder devant de telles demandes”. Comme il l’a expliqué devant l’assemblée annuelle d’economiesuisse la semaine précédente, “C’est dans les républiques bananières que le populisme guide l’élaboration des lois”.

À l’ère des options d’achat d’actions, l’absence de taxe sur le gain en capital et une réglementation minimale ont fait de la Suisse un lieu attrayant pour l’établissement du siège social des sociétés financières et même des entreprises manufacturières ou de services. Le véritable enjeu tient ici à l’arrogance – et à l’abus – du pouvoir. “Je ne ressens aucune puissance”, a déclaré Brabeck au quotidien autrichien Kurier le 20 août. Pourtant, de simples discussions sur l’imposition de limites législatives aux rémunérations excessives donnent lieu à des menaces de quitter le pays.

Nestlé n’a jamais hésité à faire sentir son poids, en Suisse comme à l’étranger. L’arrogance de la société devant la Cour suprême du Maine, aux États-Unis, alors que l’avocat de Nestlé avait fait valoir que la résistance de la collectivité à accorder à Nestlé un accès commercial aux ressources publiques en eau enfreignait le droit de la société à maximiser ses parts de marché, avait choqué même le juge. Enregistrée, cette performance est passée à l’histoire. On connaît moins bien les nombreuses autres occasions où Nestlé a utilisé tous les moyens légaux à sa disposition pour limiter les droits de ses travailleurs/euses dans le milieu de travail. Il n’est jamais question de sur-réglementation lorsque vient le temps de remettre les travailleurs/euses à leur place…

Les énormes profits de Nestlé ne servent pas uniquement à alimenter les énormes salaires de la haute direction – ils permettent d’entretenir une batterie d’avocats à travers le monde dont le travail consiste à protéger le droit de la société de restreindre les droits des travailleurs/euses qui fabriquent les célèbres produits de Nestlé. C’est ce qui soutient la prétention de la société disant que les salaires constituent un “secret commercial” et ne sont pas assujettis à la négociation collective, ce qui permet par exemple à la société de continuer à refuser aux travailleurs/euses de l’Indonésie le droit de négocier les taux de salaire et de les faire inclure dans la convention collective.

En Inde, les avocats de Nestlé ont fait ajourner les travaux du tribunal à pas moins de 54 reprises en huit ans pour éviter de négocier avec le syndicat de son usine de Ponda. Pas un seul travailleur de Nestlé en Inde n’est couvert par une convention collective; Nestlé affirme que les travailleurs/euses n’ont pas besoin de négocier leurs salaires, puisque la direction a effectué une “étude scientifique” sur la question.

Les menaces de quitter le pays ne sont rien une nouveauté pour Nestlé – en 2003, pendant un conflit avec le syndicat à l’usine Nescafé de Nestlé Corée, la société a décrété un lock-out, avant de menacer de déménager la production en Chine si le syndicat n’acceptait pas de se plier à toutes les demandes de la direction.

Le recours au chantage pour mettre fin à une discussion sur la rémunération des cadres supérieurs qui aurait dû avoir lieu depuis longtemps ne devrait surprendre personne – le pouvoir privé est toujours le premier à décrier et tenter de bloquer l’exercice du pouvoir public dans l’intérêt général. Nestlé s’est encore une fois distinguée à cet égard.