Published: 27/12/2011
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Le seul point digne de mention de la conférence ministérielle de l’OMC tenue du 15 au 17 décembre a été d’avoir donné l’occasion au directeur général de l’OMC, Pascal Lamy de s’en prendre à Olivier de Schutter, rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies sur le droit à l’alimentation. Dans ses recommandations à la conférence, De Schutter appelle à des changements importants aux règles du commerce mondial pour que les gouvernements puissent honorer leur engagement à garantir le droit à l’alimentation dans un monde de plus en plus affamé. « L’OMC, écrit De Schutter, continue à poursuivre l’objectif dépassé d’intensifier le commerce pour son propre bien au lieu de n’encourager davantage de commerce que dans la mesure où cette intensification améliore le bien-être humain. Elle considère dès lors les politiques en matière de sécurité alimentaire comme une déviation malvenue de cette voie. »

La réponse de Lamy (erronément intitulé « réfutation » sur le site de l’OMC) démontre la véracité de cette critique.

La défense présentée par Lamy au nom de l’organisation qu’il préside repose sur trois assertions. Les trois sont entièrement circulaires et ne contiennent pas une seule référence à ce qui est pourtant le point de départ de l’argumentation de M. De Schutter, c’est-à-dire que la croissance du commerce mondial des produits agricoles sous le régime de l’OMC s’est traduite par une augmentation de l’insécurité alimentaire, et que les règles actuelles du commerce mondiale font partie du problème en limitant la capacité des pays en développement de protéger et de promouvoir la production alimentaire nationale.

Premièrement, affirme Lamy, il ne peut être vrai de dire que les règles de l’OMC violent le droit à l’alimentation, parce que le droit à l’alimentation est « mentionné » et « référencié » dans l’Accord sur l’agriculture de l’OMC. Les gouvernements, déclare-t-il, « ont le droit souverain de mettre en œuvre des politiques visant à atteindre la sécurité alimentaire dans le respect de leurs obligations internationales ». Les références et les mentions ne nourrissent cependant personne et ne répondent pas non plus à l’appel lancé par De Schutter pour un examen des répercussions réelles à l’échelle mondiale des règles imposées par ce traité.

Qui plus est, les gouvernements n’ont pas seulement le droit souverain de mettre en œuvre des politiques visant à atteindre la sécurité alimentaire. Leurs engagements internationaux envers les droits humains les obligent à mettre en œuvre de telles politiques et à agir concrètement pour assurer la réalisation progressive de ce droit humain fondamental. C’est la signification même du droit à l’alimentation : un droit qui ne peut être qualifié, limité ou subordonné à « d’autres » obligations internationales (lire les obligations « commerciales »).

Deuxièmement, continue Lamy, il est faux d’affirmer que des pays pourraient devoir limiter le recours excessif au commerce des produits agricoles dans le but de satisfaire leurs engagements en matière de droit à l’alimentation, la preuve étant que des organisations comme le FMI, la Banque mondiale, l’OCDE, la FAO et l’OMC elle-même l’ont dit.

Si des preuves additionnelles sont nécessaires, Lamy nous rappelle que « En fait, nos membres négocient la mise en place de règles plus égales pour tous en agriculture, dans le but d’augmenter leur capacité d’atteindre la sécurité alimentaire. » Cette affirmation vient simplement répéter le problème que pose De Schutter, c’est-à-dire de savoir si, dans la réalité, l’augmentation du commerce des produits agricoles a permis d’augmenter la sécurité alimentaire, et ce qui doit être fait si ce n’est pas le cas.

Voici la vérité selon Lamy : « Avec le commerce comme élément d’une stratégie économique macroéconomique et structurelle cohérente, les ressources tendront vers une répartition basée sur l’avantage comparatif, limitant les inefficacités. En réponse à la transmission améliorée de signaux de prix non biaisés, les producteurs concurrentiels ajustent leur production et leurs décisions d’investissement. Cette réponse de l’offre contribue à atténuer la pression sur les prix, ce qui contribue à une meilleure disponibilité d’aliments abordables. »

Les clichés éventés du libre échange que répète Lamy peuvent sans doute, avec l’aide d’un petit coup de pinceau, expliquer « l’avantage comparatif » dont jouissent les géants du commerce et de la transformation qui dominent le commerce mondial des produits agricoles. Ils ne peuvent cependant expliquer l’indisponibilité grandissante des aliments abordables.

« Sur papier, cela peut ressembler à la sécurité alimentaire, indique De Schutter dans sa réponse à Lamy, mais c’est une approche qui a échoué de manière spectaculaire. Sur le terrain, la réalité est que les populations vulnérables sont consignées à la faim et à la pauvreté endémiques. »

De par sa nature, l’OMC ne peut tenir compte de la dévastation sociale entraînée par le régime commercial actuel. L’agriculture y est perçue, non comme une source de moyens de subsistance, mais comme une source de produits commercialisables. Les règles de l’OMC exigent que les véritables enjeux sous-jacents à la crise alimentaire soient exclus de toute considération. Les mêmes questions sont soulevées à nouveau par De Schutter dans sa réponse à Lamy : « Qui produit pour qui, dans quelles conditions, avec quelles conséquences sociales et environnementales » sont des questions inadmissibles en vertu des règles de l’OMC.

La répétition doctrinaire par Lamy de formules tirés d’ouvrages académiques ne peut reconnaître l’existence d’une crise sociale et environnementale massive, dont la faim croissante dans le monde est une expression puissante. Le mot « faim » est en fait absent de sa lettre à De Schutter. Il ne peut expliquer pourquoi la moitié du nombre croissant de gens qui ont faim sont des producteurs d’aliments, parce qu’il ne peut pas poser la question : pourquoi?

Il ne peut pas expliquer pourquoi la « répartition efficace des prix » a plombé les pays en déficit alimentaire les moins développés par une augmentation de 600 % de leur facture d’importation d’aliments depuis la création de l’OMC. Sa seule réponse aux prévisions de la FAO à l’effet que les dépenses d’importations de céréales des pays en développement connaîtront une augmentation record au cours de l’année qui vient est pour l’année qui vient est de mettre en place davantage des politiques qui ont déjà échoué.

L’examen des objectifs déclarés et des petits caractères de l’Accord sur l’agriculture le confirme et nous amène à la troisième assertion de Lamy, selon laquelle l’Accord laisse aux gouvernements la latitude nécessaire pour adopter des politiques de sécurité alimentaire. Ici encore, il ne fait que renforcer les points soulevés par De Schutter. La « grande latitude » offerte aux pays en développement pour mettre en œuvre des objectifs de sécurité alimentaire n’existe que sur papier, dans des documents produits par le secrétariat de l’OMC. Il donne comme exemple la catégorie verte de l’Accord sur l’agriculture (qui définit les mesures de soutien permises), mais la catégorie verte a été spécifiquement créée pour permettre le versement de subventions continues aux grands producteurs qui inondent les marchés mondiaux d’importations à rabais. Elle est naturellement incompatible avec les programmes nationaux qui visent à renforcer la production domestique par la réglementation et la protection. L’utilisation stratégique des réserves de céréales pour se prémunir contre la volatilité des prix est admissible, dit Lamy, mais uniquement dans le contexte de l’aide alimentaire d’urgence, et non comme élément de réglementation « restreignant le commerce ». Cela laisse les grands négociants aux commandes des réserves mondiales d’aliment – bien entendu, sous la réglementation de l’OMC.

De Schutter ne plaide pas « contre » le commerce, une proposition aussi absurde que sans signification, non plus qu’il ne plaide en faveur de l’autosuffisance complète en matière de production alimentaire. Il appelle à un examen et à une refonte des règles sur le commerce et l’investissement qui ont dévasté la capacité de nombreux pays de répondre à leurs besoins alimentaires actuels et futurs par une augmentation de leur production nationale, les laissant hautement vulnérables à des prix des aliments de plus en plus élevés et volatiles.

Il a raison. Des critiques similaires quant au rôle de l’OMC dans le sapement de la sécurité alimentaire sont faites depuis longtemps par l’UITA et de nombreux autres critiques du système alimentaire mondial. Ce qui indispose véritablement Lamy est le fait que De Schutter, tout en étant un expert indépendant, exprime ses critiques depuis l’intérieur du système des Nations unies. De Schutter a également souligné avec force la pertinence des conventions de l’OIT et des droits des travailleurs/euses dans l’avancement du droit à l’alimentation. « Le droit à l’alimentation n’est pas une marchandise et nous devons cesser de le traiter comme tel », écrit De Schutter. Le mouvement syndical doit se prononcer fermement et à voix haute en faveur de son travail.

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Les publications de l’UITA sur l’OMC et le système alimentaire mondial sont disponibles ici.

Les publications et autres documents du Rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies sur le droit à l’alimentation sont disponibles ici, incluant l’excellent rapport sur Le secteur agroalimentaire et le droit à l’alimentation.